En haut ou en bas, on ne les voit pas!
Entre les paraboles et les décombres, ils y vivent avec leurs bêtes. Les habitants des toits d’immeubles ne trouvent pas d’autres endroits. Dans les cimetières, dans les tombes, ils s'entassent. Les occupants de la Cité des Morts du Caire vivent dans la misère
20 Rue Ahmed Zaki, sixième étage. Quartier populaire jouxtant Maadi : la vie semble difficile pour ces six personnes partageant un toit d’immeuble dont la construction n’est pas encore achevée, et reste illégale.
Les escaliers sont étroits, sales et l’odeur est insupportable. Mais leur problème est différent : le père a un petit atelier pour réparation de voiture en dessous de l’immeuble, et il ne veut plus y travailler, "car ça ne sert à rien, ça ne rapporte rien !"
Mais Souzane, sa femme est pragmatique. Elle fait des économies de temps à autre pour poursuivre les travaux de son appartement et pour s’occuper de leurs quatre enfants et de leurs études.
Il y a neuf ans qu’ils se sont déplacés du troisième au sixième étage, pour éviter de payer le loyer. Leur seule source de revenu désormais, est le loyer de leur appartement du troisième.
D'un simple toit ils sont passés à petites pièces, la chaleur y est infernale. Pour l’aération, il n’y a qu’une seule petite fenêtre. "Mais pas d’autre solution, sinon on est dans la rue", explique Souzane.
Peu de meubles : un petit canapé et une table, Souzane est assise par terre. Elle explique en coupant un oignon qu’elle respecte l’avis de ses enfants et le fait qu’ils n’acceptent pas n’importe quel métier "humiliant". Même s’ils demeurent étudiants et qu’ils ont besoin d’argent. Elle dit fièrement : "Nous, tout ce qu’on a c’est la dignité et le respect, alors il faut les garder !"
Un système de lit
Sayeda Eisha, sixième étage, dans une des ruelles des quartiers très populaire du centre ville. Les étendoirs cachent les murs de l’entrée avec l’énorme quantité de linges. Deux pièces se font face. Les habitants de celle qui est à gauche viennent tous des gouvernorats hors Caire. Ils vivent ici depuis cinq ans.
Chez eux, à Menya ou Assiout, ils étaient au chômage. Il est donc préférable de venir travailler au Caire même si les conditions sont insupportables. Professeurs, serveurs, étudiants ou autres, ils tentent de survivre à tout prix, à l’aide d’un budget qui ne dépasse pas les 300 livres par mois (36 euros).
Il y a certainement des coupures d’eau ou d’électricité, mais "on ne peut pas beaucoup se plaindre, sinon le propriétaire nous mettra à la porte", raconte Mostafa, professeur d’histoire dans une école publique.
Ils sont combien sous ce toit ? "J’ai peur de vous surprendre, mais on est 25 dans ce logement de trois pièces" affirme un des jeunes.
Ici, le système est différent : il s’agit d’une location de lit. Chaque personne paye 75 livres (9,5 euros) par lit. Mais ils n’ont pas le droit d’avoir d’autres services sous ce toit. Difficile de vivre dans de telles conditions, pour des jeunes qui supportent leur situation avec douleur, surtout quand il accueillent leur visiteur sur le seuil de leur porte : "Nous ne voulons pas vous inviter à rentrer pour ne pas vous choquer. Nous vivons dans un b azar !", lance Mohamed, la honte recouvrant son visage.
Ils vivent parmi les morts
Juste en face de Bab El-Nasr, près du quartier de Gamaleya, des milliers des petites maisonnettes existent. "El-Arafa", c’est le nom de cette zone, ou on rend visite aux morts, surtout chaque vendredi.
C’est là où les corps sont enterrés mais aussi où des centaines voire des milliers de familles vivent dans la misère totale. Vêtue de noir, elle est assise sur un banc en bois à côté de son époux à l’extérieur. Pas d’espace à l’intérieur, pas de lumière. Rien. Cet endroit sert seulement à dormir le soir.
Elle accueille les passants avec une hospitalité sans égale. Elle ne les connaît pas, mais elle les invite à boire un "Shay", un thé, et à discuter.
Oum Mahmoud explique : "La famille du défunt nous héberge gentiment, elle est au courant que si on sort d’ici, on dormira dans les rues."
L’époux d’Oum Mahmoud est vieux. Il est un "Torabi", croque-mort. Il n’a pas de revenus fixes, mais les bienfaiteurs qui frappent à leur porte viennent surtout au mois de Ramadan.
Le fils d’Oum Mahmoud est jeune. Il veut se marier, mais sa future épouse n’a pas de place dans cette petite pièce. Donc, pas de mariage.
La fille d’Oum Mahmoud a arrêté d’aller à l’école, faute de moyens. Elle s’occupe du ménage le matin, aide ses parents et reste à côté d’eux sur le même banc le soir.
Oum Mahmoud a des problèmes cardiaques, mais ne peut pas s’acheter de médicaments car ils coûtent très chers, par contre elle dit : "Moi, El-hamdoula, ma situation est meilleure que beaucoup d’autres". Et elle poursuit, "Mais je n’ai qu’une seule question : il est où notre Président ? il nous abandonne complètement dans ces conditions misérables."
Une réalité amère
Effectivement, "El-Arafa", n’est pas le seul quartier où vivent morts et vivants ensemble.
Il suffit de prêter attention en allant à Héliopolis. Une vaste "Cité des Morts" longe tout le trajet. De loin, on ne voit que de petites maisonnettes où les morts sont enterrés. Mais, concrètement, les vivants y sont aussi.
Un des plus anciens cimetières du Caire qui n’a cessé de s’étendre depuis les Fatimides, la cité regroupe de plus en plus de gens compte tenu de la pression démographique. De même, les plus démunis et les migrants de la campagne y trouvent refuge.
Illégalement installés, ils savent très bien que le gouvernement ne peut que faire mine de les ignorer, pour le simple fait qu’il ne serait pas capable de régler le problème de logement de plus de 2 millions d’habitants des cimetières.
Sur les toits, ou dans les tombeaux. Il semble que trouver un appartement entre les deux, restera un rêve pour les familles pauvres du Caire.
En revanche, selon El-Ahram Hebdo, une étude effectuée par l’urbaniste Abou-Zeid Ragueh, démontre que "Face au changement de politique de l’Etat, la privatisation et le marché libre, le coût des logements dépasse le pouvoir d’achat des couches défavorisées et moyennes. Puisque, le nombre de logements proposés sur le marché égyptien atteint environ 12 millions, alors qu’il suffit de 9 millions pour mettre fin à la crise !"
Texte et photo Nora Dardir (www.lepetitjournal.com - Le Caire-Alexandrie) juin 2008