"Valse avec Bachir", d’Ari Folman : la mémoire qui dérange
Made in Israël, le film "Valse avec Bachir" dénonce un des crimes de guerre les plus inhumains, perpétré contre les refugiés palestiniens. Dans ce documentaire d’animation, le réalisateur israélien Ari Folman revient sur sa terrible expérience au Liban pendant la guerre. Il témoigne aussi du massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth-ouest. Vivement recommandé.
26. C’est le nombre des chiens tués par un ami d’Ari Folman à l’entrée des villages au Liban dans les années 80, lorsqu’il était un jeune soldat servant l’armée israélienne. Le film s’ouvre sur cette séquence violente ; des chiens enragés qui le poursuivent dans tous ses rêves. Un récit qui amène le documentariste israélien, dès le lendemain, à partir en quête de son propre passé.
Ancien soldat israélien, Ari Folman était jeune au moment où il a participé à l’opération "Paix en Galilée" pendant la première guerre du Liban (1982) et à l’occupation de la ville de Beyrouth. Il a de même témoigné sur un drame qui date de la nuit du 16 septembre de la même année : le massacre perpétré par les phalangistes chrétiens à Sabra et Chatila, deux camps de refugiés palestiniens de Beyrouth-Ouest occupé par Israël à cette époque là. Un massacre pour venger la mort de Bachir Gemayel, président du Liban assassiné sous l’œil de l’armée israélienne le 14 septembre.
En cette nuit de violence, il fallait tuer tout ce qui bouge : humains et animaux. Et les soldats des forces libanaises ont bien appliqué les ordres avec l’aval de l’armée israélienne. Cauchemars. Conflits intérieurs. Troubles de mémoires et remords. Il fallait fouiller dans un passé loin, refoulé et presque effacé pour tout remettre en ordre. Une sorte de thérapie personnelle évidement pour Ari Folman, mais aussi pour tous autres israéliens ayant vécu pareille scène.
Un témoignage fort intéressant, qui met à nu le déchirement intérieur de tout israélien ayant une conscience et qui se pose la question de son implication au moins une fois dans sa vie. Selon le critique de cinéma israélien Uri Klein, dans une interview publiée dans Haaretz et dans Télérama : "Valse avec Bachir est un film qui saisit l’âme israélienne avec toutes ses contradictions et ses paradoxes. Il interroge l’inconscient israélien en explorant sa part d’ombre. (…) Ce film expose un conflit très présent dans la société israélienne entre gauche et droite sur la question des victimes et des bourreaux."
Voyage dans le passé
Un documentaire d’animation qui parle d’une guerre, c’est une première. De même, les témoignages font que les morceaux du puzzle se regroupent pour former une seule image. Floue avant mais maintenant cohérente. Quelques soient les résultats d’un tel rassemblement, une première phase de thérapie est déjà faite. La suivante : partager son histoire avec les autres via son film. Un vrai défi. Une déclaration courageuse d’une âme blessée par ce qu’elle a vécu et découvert. Mais surtout par ce qu’elle a commis et fait. Oui. Tout cela en animation. Mais étonnement crédible.
On y trouve aussi une bonne musique, rock qui va dans le même sens. Avec une chanson bien claire : This is not a love song ! Donc, animation, rock et chanson ; une technique pour rendre les choses plus légères à digérer, vu le lourd fardeau que porte la mémoire de l’auteur du film. Film qui délivre un message aux jeunes d’aujourd’hui, comme le dit son réalisateur dans une interview donnée à Evene.fr : "Je voulais que les jeunes qui ne sont pas encore allés à l’armée voient que la guerre n'est pas comme dans les films américains. Il n'y a pas d'enjeu dramatique, pas de bravoure, ce ne sont que des gens qu'on utilise. "
Tout est bien étudié. D’ailleurs, le titre définit le film : "Valse avec Bachir". C’est avant tout un appel à danser avec un soldat perdu qui s’est trouvé dans une guerre avec une arme. Et des instructions qui disent : tire ! …. C’est aussi une invitation à partager ses angoisses et ses inquiétudes sur ces questions : Quel est mon rôle ici ? Et pourquoi je suis là ?
Un bon film sans doute, riche en émotions ; on sent un regret sincère et une déclaration claire de ne pas faire la guerre, qui laisse une grande interrogation auprès des jeunes israéliens qui ont peut-être le choix de s’impliquer. Le film ouvre aussi le débat sur la question du nombre croissant de soldats israéliens qui refusent de servir à l’armée israélienne pour les mêmes motifs humains. Pour ces raisons là, "Valse avec Bachir", provoquera évidement des polémiques en Israël, par le simple fait qu’il s’agit d’une nouvelle vision des choses. Une vision purement israélienne, honnête, qui invite à penser, et à changer si on le veut.
La fin surprend. Elle est dans un sens impressionnante et dans un autre larmoyante. Plus d’animation, mais de vraies images qui s’imposent finalement au spectateur qui se trouve face à une vraie scène de guerre. Des images qu’on ne voit que sur la chaine Al-Jazeera, car normalement "elles choquent…" Un drame humain se déclare finalement, entre enfants tués, femmes violées et personnes âgées ravagées. Les femmes hurlent, pleurent leurs êtres chers, désormais cadavres entassés par terre.
Critique du film par Nora Dardir
Pour la maison des journalistes - l'oeil de l'exilé
A regarder: http://www.youtube.com/watch?v=ylzO9vbEpPg&feature=related