Youssef Chahine, Khaled Youssef: regards croisés

Publié le par Nora Dardir

 Le film "Le Chaos" 

 Ce n’est pas un hasard si «Le Chaos» et «Hina May’sara» font un tabac en Egypte. Ces deux long-métrages très réussis sont en effet réalisés par le talentueux Khaled Youssef, coréalisateur du premier film avec Youssef Chahine. Ces films ont aussi provoqué des réactions bouillonnantes surtout du côté gouvernemental et religieux.

A Choubra, un des quartiers populaires du centre-ville du Caire, Hatem (joué par l’excellent Khaled Saleh), est un officier de police véreux aux méthodes arbitraires. Il décide d'emprisonner un criminel ou de le libérer, distribue des permis de conduire contre des pots de vins. Hatem, lui-même, vit dans un chaos sentimental énorme. Détesté dans son quartier, tout le monde le craint sauf sa jeune voisine Nour (Mena Chalabi), dont il est amoureux. Si le jour, l’officier est capable de torturer sans pitié des jeunes prisonniers, le soir en civil, il pleure son impuissance à gagner le cœur de sa bien-aimée. Hatem la voudrait pour lui. Elle le refuse: il la viole. Un mélodrame où toutes sortes de sentiments se mélangent : haine, peur, amour, pitié, force, faiblesse et cruauté. Ceux qui aiment la métaphore pourront voir dans le personnage de Hatem l’injustice des régimes qui menacent la population au nom de la discipline pour étouffer toute liberté. Mais aussi la faiblesse qui se transforme en tyrannie chez une personne qui se sent pour la première fois incapable d’achever un but. 

Distribué en 45 copies et actuellement à l’affiche aussi en France, le film a eu un grand succès en Egypte. A 81 ans, Youssef Chahine prouve qu’il reste capable de donner une profondeur philosophique et une intrigue dramatique dans le scénario et les dialogues

Personnalités complexes

Les personnages de Chahine sont toujours symboliques et reflètent les différents aspects de la compexité de l’âme égyptienne. Une personnalité qui balance entre l’amour et la tyrannie, comme chez Hatem qui venge son dépit amoureux sur les prisonniers dans les cellules de son centre de police. Mais aussi qui balance entre l’amour et la haine comme chez Nour qui refuse l’un, Hatem, et convoite les faveurs d’un autre, Chérif le procureur. On peut regretter que quelques scènes du début perdent le spectateur et n’apportent pas grand-chose à l’histoire. Comme celle du procureur avec sa première fiancée, qui avorte pour ne pas grossir et perdre sa beauté.  

A sa sortie, le film a déclenché de fortes réactions réclamant l’interdiction de sa diffusion dans les salles. Surtout du côté du gouvernement qui n’a pas apprécié certaines scènes très critiques à l’égard du régime. Du côté religieux aussi qui a vu en ce film un regard trop osé sur la société égyptienne, comme celui qui est posé sur la vie des prostituées à l’intérieur de la prison du poste de police. Inattendue, la fin du film donne un regard positif sur tout un peuple qui se mobilise finalement pour se débarrasser de celui qui trouble leur liberté : Hatem.   

Le film « Hina May’sara »  

Décrire le quotidien d’un quartier misérable peut-être choquant pour certains, mais pour d'autres, le film de Khaled Youssef Hina May’sara, ou "Quand ça sera possible...", constituera un réveil brutal mais salutaire. Khaled Youssef y illustre les «Ashwaeyat», les quartiers informels, qui se multiplient avec leurs problèmes de jour en jour en Egypte.

Dans une de ces zones urbaines, Adel (Amr Saad, dont la performance est remarquable), est un jeune au chômage incapable de nourrir sa famille. Il n’est pas le seul, tous ses voisins vivent pareillement. Adel refuse d’héberger son amante Nahed (Somaya El-Khashab), dès qu’il apprend qu’elle est enceinte. La jeune fille doit abandonner son bébé dans un bus pour trouver un toit. Un peu plus tard, son fils devient père à son tour, et vit avec son amie adolescente, sans abri comme lui. Ce drame hors pair a des airs de documentaire. Le réalisateur traite en quatre volets quatre questions avec une alternance magnifique : la pauvreté, la prostitution, les enfants des rues et la cruauté policière vis-à-vis les démunis.  

Scandale et polémique  

Hina May'sara offre un panorama de la vie des marginaux dans la société égyptienne. Ceux-ci le savent très bien, ils viennent sur terre et passent invisibles à côté des plus forts, comme le souligne le film ironiquement. Le regard du réalisateur est très concret sur de nombreuses difficultés de l'existence de ses personnages mais reste neutre. Bien rédigé, le scénario laisse croire que ce dialecte familier, gouaille de voyou cruelle, correspond aux personnages de cette petite zone informelle.  

Le titre du film est métaphorique que les rêves des pauvres sur terre risque de se réaliser difficilement, un jour... ou l'autre ou plutôt « Quand les poules auront des dents ». «Quand ça sera possible », Adel aura de l’argent pour nourrir sa famille. Il cherchera Nahed pour se marier avec elle. Et Nahed retrouvera son enfant pour le garder avec elle et ne plus se vendre contre paiement...   

Le film a provoqué un tollé du côté de religieux choqués par un baiser donné à Nahed par une femme et qui a fait scandale. Les réactions ont également porté sur la transparence avec laquelle Khaled Youssef a traité son sujet.   

La fin est pessimiste mais symbolique : le père, la mère et leurs fils s’évadent sans se retrouver, pour se perdre dans une vie qui ne traite pas les humains sur le même pied d’égalité.  

Le film est très fort sur les deux niveaux : contenu et forme, ce qui laisse dire que le disciple a peut-être excellé pour dépasser sont enseignant : chapeau-bas Khaled !

Nora Dardir (www.lepetitjournal.com), le Caire. 29 janvier 2008.

Publié dans j'ai regardé...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
H
Que ce soit en Egypte ou ailleurs, la vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Puisqu'il n'y a pas de véritable éldorado sur terre!
Répondre