Arrêtés, le 4 Mai!
Il est 5 heures du matin. Nous sommes déjà à Mahalla El-Kobra. Là où les émeutes étaient les plus chaudes le 6 Avril dernier. En revanche, il parait que la grève est forcement pacifique cette fois-ci : le 4 Mai à Mahala, rien de particulier. Les Egyptiens n’ont même pas le droit de célébrer l’anniversaire de leur président! Le silence règne, les magasins fermés et la police partout.
Le syndicaliste dont nous devrions interviewer s’est désisté à la dernière minute : «Je suis épuisé, je ne peux pas descendre de chez moi aujourd’hui.» lance-t-il le matin au téléphone.
Décidément, il nous a fait venir jusqu’ici pour rien. Il a eu peur à la dernière minute. La veille, il était d’accord : « les manifestations n’auront pas lieu demain, tout le monde porte un haut noir au boulot. Et un boycott de consommation durera trois jours. Mais si les policiers commencent à lancer des lacrymogènes et de tirer comme le jour du 6, nous allons réagir! C'est important que vous soyez là!» affirme-t-il
A 9 heures, seuls certains petits kiosques sont ouverts. Une ville morte. Pas de transports en communs. Rien!
Yeux baissés, les quelques passagers, suivent leurs chemins. Pourtant, les policiers sont partout et soupçonnent tous les passants.
Une voiture immatriculée « Privée le Caire » a soulevé les soupçons : La nôtre!
Un homme en civil note le numéro de la plaque. Il a vu nos cameras. Comment faire? Pense-t-on? On se gare relativement loin. A l’ombre pour ne pas attirer l’attention. Mais assez près pour ne rien rater.
Une heure plus tard, une voiture de police s’arrête devant nous, les policiers nous demandent: «Ce qu’on fait là?»
Spontanément, j’invente une histoire : «Ils sont mes amis, on est venu pour passer la journée ici, mais apparemment ce n’est pas le bon jour! Pas un seul resto ouvert, on a faim.» dis-je en souriant.
Ma réponse ne semble pas convaincre le policier, ni son chef qui vient plus tard: Une égyptienne, visiblement pas originaire de Mahala, deux étrangers et un chauffeur. C’est du déjà vu !
Surtout qu’il n’y a pas longtemps, un journaliste américain et sa traductrice ont été arrêtés dans la même zone.
Il monte en voiture avec nous et on va jusqu'au rond-point El-Chaune, là où une dizaine de grandes voitures de polices sont installées. Toutes les émeutes du 6 Avril s'y sont passées.
«Vos pièces d’identités!»
On les sors. Ensuite un officier vient me demander de descendre de la voiture. J’obéis.
Effectivement, pour eux, je suis la seule personne responsable : de la situation et de la traduction! Ils ne parlent même pas un mot anglais ces officiers !
Ils me font entrer dans une pièce, où se trouve un bon nombre de grands policiers.
Des plats de Kebab et du Tehina sur une grande table. C’est pourquoi ils sont tous gros! Mais tous les restos sont fermés!
Je commence à inventer des scènes, voire faire du théâtre. Mais rien ne les convainc. Surtout après l’arrivée de l’officier qui nous a vus deux jours avant à Mahala et qui nous a obligés à partir! La situation se complique. Il me regarde et me dit : «Toi ! Encore une fois!»
«Et si on trouve un seul officier sur vos images!»
Un policier m’accompagne jusqu'à la voiture et la fouille. Il confisque les cameras et ferme la voiture en nous obligeant à y rester. Quatorze policiers nous entourent. Bloqués nous les trois derrière. Il fait chaud.
Le grand officier revient. Et m'affirme : «Si on trouve un seul policier sur vos images, vous êtes en prison!»
Ensuite, il nous demande de donner nos portables. On refuse. Ils insistent. On donne. Il me demande ma carte Sim. Il y a quelques minutes que je l’ai mise dans la poche de mon jean. Ils insistent. J’insiste. Il tire mon sac. Vide tout ce que j’ai sur le toit de la voiture.
Je cris : «Laisse», et je pousse la porte pour descendre. Il frappe fort sur la portière en me fixant le regard aux yeux. Je me calme un peu.
Il fouille tout. Je déteste qu’on fouille dans mes affaires. Ca m’énerve. Mais, je ne craque pas. Il me fait sortir mon MP3, dont il ignore l’utilité et me demande si ça filme? «Non, c’est pour écouter de la musique» je réponds.
Il passe mon appareil numérique à un autre policier. Je n’aime pas ça! En plus, ils ne savent même pas comment l’allumer. Je l’allume, et je leur montre qu’il n’y a pas de photos.
Un autre vient, il m’oblige à le suivre, là où se trouvent les deux plus hauts officiers. Ils me cuisinent. Tant de questions. Tant de menaces : «Vous trois, si on vous trouve encore une fois là, on vous arrête sur le champ!»
Je dis : «C’est mon pays, vous m’interdisez de visiter ses gouvernorats», l'un d'eux me dit «Voilà, tu as tout compris. Prochaine fois, il n’y aura pas de merci comme cette fois-ci!»