Egypte : face à l’excision une fois pour toutes
Suite à maintes pertes de petites filles et moult tollés, le parlement égyptien a adopté une loi interdisant l’excision -une démarche incomplète- "sauf en cas de besoin médical". En revanche, cette loi criminalise ces pratiques avec une amende qui varie entre 200 et 1000 dollars, et un emprisonnement qui peut atteindre les deux ans. Les réactions sont multiples. Et la vague est énorme.
Morte en 2007 dans une clinique illégale au sud de l’Egypte, Badour Shaker, 12 ans, est l’une des dernières victimes de l’excision. Sa mère l’a confiée au "médecin" pour la faire exciser contre 50 livres égyptiennes (5,6 euros), mais elle est décédée d’une overdose d’anesthésie. Elle n’est pas la seule à avoir subi une telle pratique, justifiée pour les campagnards mais aussi pour quelques cairotes. Par manque de sensibilisation, ils croient que cette pratique, dont la source est la tradition ou la religion, gardera la "pureté" de leurs filles. Comme le confirme fièrement Oum Nagui, "Je suis moi-même excisée et je n’arrêterai jamais d’exciser mes filles. C’est mon rôle pour les protéger".
Par contre, pour Rehab, la question est tranchée : "Je ne ferai jamais exciser mes filles, je suis excisée et j’en souffre énormément déjà". Et parce que cette affaire reste un tabou, les mères emmènent leurs fillettes à certains médecins peu connus pour les faire "opérer", d’un côté pour en pas faire de bruit et de l’autre pour ne pas payer cher. Elles préfèrent même une "daya", ou une sage-femme, pour éviter tout embarras et garantir la discrétion.
L’excision, pourquoi ?
Le terme pour excision est "Tahara" en arabe, il signifie pureté. Elle consiste, au minimum, à l’ablation du clitoris. Sous plusieurs formes, elle est censée limiter le désir sexuel chez les fillettes dès l’âge de la puberté et donc "protéger les filles". En Egypte, elle est largement pratiquée dans des communautés musulmanes et chrétiennes illettrées, pauvres et surtout insensibilisées.
Selon une étude faite sur un des villages ruraux au sud de l’Egypte, "Deir Barcha", les raison de l’excision des filles sont les suivantes :
- Protéger la fille, préserver l’honneur de la famille, et dans le futur l’honneur de son mari.
- La considérant comme une des conditions les plus importantes pour se marier, ils ont peur que leurs filles ne trouvent pas un mari si elles ne sont pas excisées.
- L’appartenance de la fille à la culture de sa famille voire sa société.
L’étude cite également que l’homme de la famille part souvent à l’étranger pour travailler, et l’idée que sa femme et ses filles soient excisées le rend tranquille et plus rassuré. Selon les propos de Nawal El Saadawy, féministe et écrivaine égyptienne, dans son livre : "La face cachée d’Eve" : "L’excision relève de l’époque des Pharaons. Et parce qu’elle est forte de sa légitimité traditionnelle, a pu être mêlée à la religion dominante quand cela s’est avéré nécessaire. Entre enjeux politico-religieux et soumission, les raisons invoquées traduisent la volonté de contrôler la sexualité des femmes. "
Excision et Islam
En effet, aucun texte religieux ne prouve que l’excision est tolérée, ni dans l’Islam ni dans le christianisme. Mais les gens ne veulent pas le croire par manque de connaissance. Pour la Haute commission des affaires religieuses, dépendant du mufti Ali Gomaa, le Grand Mufti d'Egypte : "L’excision est totalement interdite par l’islam en raison de ses effets physiques et psychologiques néfastes". Le cheikh Gomaa a insisté suite à la mort de Badour sur une chaîne satellitaire : "C'est interdit, interdit, interdit".
Fallait-il attendre une telle catastrophe pour le dire haut et fort ? Oui ! Car avant, les anciens cheikhs disaient qu’il n’y avait aucun texte dans le Coran qui montre qu’une telle pratique est "Haram", interdite! Un élément qui confirme l’idée de Nawal El-Saadawy d’une part. Et qui prouve de l’autre part qu’une tranche de la société utilise le corps de la femme comme étant un symbole de ce qui doit se conformer aux règles et à l’identité culturelle.
De vaines tentatives
En 1950, un ordre a été donné par le gouvernement égyptien pour interdire l’excision, mais malgré tout, cette pratique s’est poursuivie dans le pays.
En 1997, la Cour de cassation égyptienne a rendu un arrêt en faveur d'une interdiction gouvernementale des MGF (mutilations génitales féminines), dans lequel il est stipulé que les contrevenants s'exposent à des sanctions criminelles et administratives. Il existe en outre un décret ministériel qui interdit ces pratiques. Récemment, en juin 2008, le parlement égyptien a émis une loi pour la troisième fois, interdisant toute mutilation sexuelle sauf en cas de "nécessité médicale". La loi porte également sur tout ce qui touche à l’enfant dans la société égyptienne : l’interdiction du mariage avant l’âge de 18 ans, et plusieurs démarches pour la protection de l’enfant contre la violence domestique.
Une telle loi a soulevé une vague de tollés en Egypte. Entre opposants et partisans, une affaire de plus vient de s’ajouter en tête d’une liste de polémiques égyptiennes. Une question se pose ici : pourquoi l’adoption des dites lois reste vaine ? La réponse semble être simple pour Nadra Zaki, directrice du programme de la protection de l’enfant à l’Unicef : "Ces lois constituent de bons supports pour ceux qui œuvrent à éradiquer une telle pratique dans la société égyptienne : ONG et autres. Elles freinent également le cadre médical à les pratiquer comme avant. Mais s’intéresser à faire sortir des lois sans une vraie sensibilisation des gens surtout dans les zones rurales ne va mener à rien."
Réactions diverses
De son côté, Ali Laban, membre parlementaire des Frères musulmans a considéré qu’une telle loi constitue une violation en soi, insistant sur le fait que le financement de ces campagnes pour lutter contre cette pratique est intolérable, puisque cela relève des fonds publics. Il faut le dire, quelques membres des Frères musulmans ont tout de même salué la loi, même s’ils ne sont nombreux.
Mouchira Khatab, secrétaire générale du Conseil national égyptien de la maternité et de l’enfance affirme dans le quotidien El-Masry El-Youm qu’elle attendait plus de réactions s’opposant à la loi contre l’excision. Mais sa plus grande surprise a été le nombre de réactions des citoyens furieux suite à la loi élevant l’âge du mariage à 18 ans. Une telle colère est due à cette loi qui oblige désormais les familles aux revenues médiocres, surtout les fellahs, à financer la vie de leurs filles pour 18 ans au lieu de leur trouver un mari à l’âge de 16 ans comme avant !
Changer les mentalités
Le Dr. Samah Abou El-Gheit, gynécologue et professeur d’obstétrique à El-Quasr El-Einy, souligne que les mentalités changent en Egypte, surtout dans les milieux aisés. Elle explique : "J’ai deux cliniques, à Maadi et à Mohandessine. Vu que les femmes qui les fréquentent font partie d’une classe égyptienne élevée, seules quelques unes entre 40 et 50 ans sont excisées. Mais je n’ai jamais eu une consultation d’une jeune de 20-30 ans excisée". Le Dr. Samah croit que changer doit commencer par les comportements des gens. Dans les milieux ruraux, où ils ne sont pas au courant des vrais dangers de l’excision, ils sont donc les plus touchés. De même, elle pense que la loi adoptée manque de clarté, pour éviter toute sorte de confusion et détournement. Car la phrase "en cas de besoins médicaux" est vague, et a besoin tout simplement d’une précision. Car l’excision, selon elle, ne doit se faire que dans les cas de "déformations corporelles".
Par Nora Dardir
Pour la maison des journalistes - L'Oeil de l'exilé
Photo: N.D